Petites histoires de VTT marocain sur terre comme au ciel

« Une clope ? » « C’est pas d’refus » et l’autre : « Je vais m’laisser tenter » et l’autre : « J’ai arrêté hier, volontiers j’accepte de toute façon on est d’jà mort, y’a plus aucun risque ». Et c’est ainsi que de nouvelles cigarettes remplacent les mégots… jetés. Ils sont nombreux, ne dorment jamais, regardent en bas et suivent les scènes qui s’y déroulent, un individu, un groupe s’agiter, manigancer, s’énerver, prendre du plaisir. Depuis bien longtemps ici, des siècles pour la plupart, deux millénaires pour les moins nombreux, les Saints peuvent voir comme si leurs yeux étaient équipés d’une paire de jumelles et pas un bruit de la terre ne leur parvient. Une contradiction qui peut s’expliquer. « C’est pour mieux vous protéger du tapage des villes, des cris, des violences, des agressions, des déflagrations, des bombes et bien d’autres choses » leur dit le Tout-Puissant à leur arrivée. Au paradis les Saints s’ennuient, alors ils épient, espionnent les autres en bas. La révélation du surnaturel ne change pas la nature de l’être humain. Ne pas croire que les faiblesses humaines n’existent pas au ciel, franchement le Tout-Puissant s’en tape un peu.

 

Samedi 30 septembre 2023. « Eh les mecs, çà yé vous avez r’trouvé vos gugus’  dya 4 ans ». « Ouais ! y viennent d’arriver chez Abdou après une trotte de cinq bonnes heures d’route d’puis l’aéroport d’Marrakech. La clique est rincée ». Le repas d’accueil à la kasbah avec Abdou, Rachida, les enfants et pour les gugusses Bruno, François, Patrick, Philippe, Véronique, Yves de l’Alerte Sportive Fondettes et Alain du Team Baroudeur Jocassien. Quatre ans sans se voir. Les uns ont grandi les autres ont peu vieilli. Remise d’un maillot des cent ans de l’ASF et d’un autre en fin de semaine à Abdou le magnifique chacal du désert. Attention Abdou, les beaux maillots attirent et excitent les foules… Il faut que tu le saches quand tu les porteras. Le repas terminé, Princesse Véronique rejoint ses appartements privés. Pacha Bruno en fait de même. Les gueux aux communs. La préparation des vélos attendra demain.


Dimanche 1 octobre 2023« Didon gars, c’est presque l’même groupe qu’ya quatr’ans avec deux novices. Ah ! Ah ! Ah ! On va voir c’qu’y donnent dans s’tendroit ces deux-là ! ». Dès le départ, la piste derrière la kasbah Abdou pour rejoindre le marché de montagne n’est pas des plus palpitantes, toutefois très utile pour les deux frères, Saïd et Omar, à la fois pilote de la 404 pick-up bâchée et cuisinier, en quête du ravitaillement journalier aux étals de légumes, de fruits, de viandes, d’épices parmi les vendeuses pétillantes proposant des fripes pas chères. Traversée de l’oued du Dadès et les pistes de l’Anti-Atlas du Jbel Sarhro s’offrent à nous. Rapidement le relief s’accentue. Imperceptiblement la terre et les roches ocre-rouge laissent place à un paysage volcanique noir, très peu végétalisé. Magnifique, pas à côté, pas n’importe où, là sous le soleil exactement. 
Au cours du repas de mi-journée à l’ombre de quelques arbres bienvenus, une discussion animée d’un événement ou d’une réunion de l’association se termine par le refus amical du club des cinq ASF concernant la proposition du choix dans la date de Véronique. Le baroudeur apprécie l’humour de la dame. Plus tard dans l’après-midi, le col du rocher à la tête de lion, c’est le nom qu’on lui a donné, est franchi pour descendre vers notre lieu de bivouac, une ferme isolée au pied d’une cheminée volcanique érodée non loin de la Botik Mohamed perdue au milieu de nulle part.
Lundi 2 octobre 2023. « Oh là, là ! Avec un malade c’matin et pi l’passage cabossé de l’Anti-Atlas, ça leur fera de bons souv’nirs aux loulous et à la louloute, j’te prie d’croire ».
Dès le lever, François dépose délicatement un souvenir derrière un rocher et rend visite à la trousse à pharmacie de Véronique. Hier devant, aujourd’hui à l’arrière du peloton. Toujours dans le Jbel Sarhro, la journée commence par une longue escalade pour atteindre les pistes des mines d’argent, d’or et de cuivre. Subtilement la roche passe du noir volcanique au bleu-vert cuivré et à l’ocre-jaune aurifère. Il émane de ce paysage une beauté insoupçonnée. Il est toujours surprenant de rencontrer, isolés et loin de tout, des enfants, indistinctement filles et garçons, qui se « promènent » ou gardent le troupeau. Un arrêt pour une distribution de crayons, stylos, carnets et la satisfaction de voir de larges sourires sur leur visage. C’est une longue, très longue petite quinzaine de kilomètres de tôle ondulée épuisante, chacun prétextant une réelle fatigue, s’arrête… un regard au sol dans l’espoir d’un miracle doré. 
Sur un gros pneu de camion, une flèche indique Skoura, ville de plaine entre Anti-Atlas et Haut-Atlas. Adieu les pistes des mines blessantes pour le fondement, cassantes pour les corps malmenés et bonjour le classicisme d’une piste pour le repos du périnée. Un stop dans un bar à sodas, produit que nous consommerons à plusieurs reprises les jours suivants. Un peu d’eau dans le gaz, pour Bruno, sur l’utilité
de cette fin de parcours d’une douzaine de kilomètres de bitume surchauffé dans la circulation, les gaz d’échappement et le réveil de nuit par la voiture du chef du village venu contrôler la bonne tenue du campement.

Mardi 3 octobre 2023. « Alors là, chapeau bas l’pilot’, chépa si un chameau y s’rait passé par s’te piste défoncée mais tu yé arrivé. Une heure et demie pour trois malheureux kilomèt’es ». Princesse Véronique procède à une automédication matinale. Hier devant, aujourd’hui en fin de groupe. Après la photo de l’équipe prise comme chaque matin, nous partons pour le Haut-Atlas en direction du village Agued par un oued encaissé à la végétation abondante appréciée des troupeaux de chèvres et moutons. Occasion offerte d’un bon bain aux VTT, aux chaussures et à la 404. Atteinte du plateau du Jbel Azaghar et ses pistes caillouteuses en ascensions discontinues. Un superbe paysage lunaire et grandiose. Troglodytes, pentes abruptes, roches claires sous le soleil, végétation disparate.

Une voiture du Raid VTT Maroc 2023 nous salue lors de notre bivouac de midi en bord de piste à proximité d’un puits. Loin plus haut sur le plateau, les poteaux du départ d’une Spéciale, Abdou fait le choix de quitter la piste principale pour une autre où la difficulté nous cueille très rapidement, vélos et voiture. Une succession d’oueds étroits et secs à franchir, parfois profonds et toujours empierrés. Ce n’est pas une sinécure pour le pilote et la voiture. 

Retour sur une piste normale, un stop impératif de Véronique ne laisse aucun doute, il y a danger. Un caméléon traverse la piste à la vitesse… d’un caméléon. Silence et photos. Selon Abdou, il reste environ dix kilomètres ou plus, avant le campement ne précisant aucunement qu’ils sont en montée le long de l’oued M’Goun jusqu’à 2075 m un peu avant Amesker. Baignade, shampoing, grande toilette dans les eaux tumultueuses et tonifiantes par ses quatorze ou quinze degrés. Nuit fraîche, silencieuse, ni chiens sauvages hurlants au fond de l’oued, ni moutons ni chèvres. Rien que le silence à écouter dans ce site isolé.

Mercredi 4 octobre 2023. « Tiens r’garde, c’est quoi c’truc vert sur la piste ». « Heu, chépa, ça r’ssemble à un sac à dos, peut-être, on dirait, au milieu d’nulle part. y sont pas près d’le r’trouver ». Le soleil vient de se lever, encore une belle journée, et il va bientôt arriver, l’ami RicorYves, il vient toujours au bon moment pour disparaître derrière un rocher et revenir vers la trousse miraculeuse. Hier devant, aujourd’hui au gouvernail. Après avoir temporairement perdu la voiture ravitaillement et après quelques kilomètres de goudron, la piste se cabre de nouveau pour rejoindre en altitude le bivouac de midi au bord d’un oued. Une sieste un peu plus longue qu’à l’habitude et c’est reparti pour monter, monter toujours. Altitude deux mille et c’est la descente sur une piste roulante parsemée de quelques touffes d’herbe à dromadaire.

Nous nous arrêtons à la source de Taghbalout, nom du village d’à côté, et attendons… attendons la voiture ravitaillement. Une discussion s’engage avec les habitants venus palabrer et se désaltérer. Patrick et Alain remontent la piste sur quelques kilomètres. Pas de voiture en vue. Retour à la source. 
Parler de téléphone arabe est une expression imagée pour nous. Dans le désert c’est une réalité. Une voiture de passage récupère le sac à dos vert perdu par la 404, le donne à une voiture allant en sens contraire qui le laisse au chef d’un village qui appelle un autre chef de village qui appelle le chef du village de l’endroit où nous sommes qui appelle Abdou qui appelle le chauffeur pour aller récupérer le sac à dos chez le chef d’un village. C’est compliqué mais ça marche. Surprenant n’est-ce pas ! 
Deux heures trente d’angoisse pour Patrick, heureux de retrouver son sac à dos, son téléphone, ses papiers, ses lunettes de vue neuves, toutes ses petites affaires et surtout dispensé d’être un esclave du meilleur prix d’une commande d’un sac à dos vert sur Amazon proposant une livraison en vingt-quatre heures au troisième troglodyte à gauche après la montagne à deux bosses sur la piste de Tamalout. Quelle aventure ! Le retard ne se rattrape pas, bivouac sur un plateau à proximité de la source.
Jeudi 5 octobre 2023. « T’as vu l’séisme du 8 septembre a laissé des traces, la montée pas possible pour un véhicule à quat’ roues ».
Assis sur la bâche et les coussins, les jambes croisées, petit déjeuner au soleil levant, café, thé, miel, fruits servis, il manque quelque chose et c’est un Oh ! de joie et des rires quand Omar et Saïd sortent de la tente avec un plateau chargé de crêpes. Pas de la finesse des bretonnes. De bonnes grosses crêpes bien épaisses avec la confiture dégoulinante. Un régal. En montant le col Tiaalouit qui domine la plaine verte et l’oasis de Tamalout, les vues sont magnifiques et les séquelles du séisme bien visibles.  
Déjà la veille, dans un village, une maison en pisé n’avait pas résisté aux secousses, écroulée sur la piste, les hommes du village dégageaient le passage. Cette fois dans la pente raide, les énormes rochers, les éboulements de caillasse obligent à des slaloms parfois en bordure de précipices. Chacun avance à son rythme. 

« Eh, Tout-Puissant quèse t’en penses ? Les chiens aboient et la caravane passe. Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes luttent en vain. C’est beau s’que j’dis, hein ! ». « Enfin un brin de philosophie, t’as d’autres pensées comme celles-ci ? » « Heu ! Ben ! Ouais ! J’peux t’faire un dessin dessin dessin du Paradis ».

Quelques secondes passent, le Tout-Puissant part dans un fou rire, s’éloigne et marmonne « faire un dessin des seins des Saints du Paradis. Elle est bien bonne celle-là ». Après avoir contourné la montagne, en bas du col Tiaalouit, Abdou, Omar et Saïd ont installé le bivouac du midi. Une descente prudente sur les éboulis et les cyclos arrivent un par un. Un arabatier est là avec son troupeau autour du puits. Evidemment les photos de ce spectacle inattendu s’imposent. Soudain le ton monte. Abdou est aux prises avec le gardien de dromadaires. Des cris, ils passent aux mains, des mains aux bâtons et des bâtons aux pierres. Le contexte est tendu. Véronique et Alain essaient de comprendre le pourquoi d’une telle tension et calmer la situation. Abdou : « Mais il vous a insultés ». Abdou, peux-tu entendre que nous ne comprenons ni le Berbère ni l’Arabe, alors ce qu’il dit, on s’en fout. On lui fait un beau sourire et c’est terminé. 
« Ben ça alors, y sont deux derrière maint’nant » « Malades sans doute » « Le p’ti nerveux peut-être, le costaud appuie encore fort sur les pédales, ya quèkchose qui n’va pas ». Pour la dernière fois nous croisons le M’Goun aux eaux vives et fraîches. Qu’il est bon d’y rafraîchir nos corps blancs aux membres bronzés. Depuis ce matin, Alain et Philippe sont en fin de peloton et parfois distancés. « Ça va ». « Oui, pas de soucis ». L’échange est bref et rassurant. Pour eux deux, sans doute la même envie folle d’augmenter la durée des secondes, des minutes, des heures. 
C’est le dernier jour de cet aventureux voyage et peut-être aussi la dernière fois à vélo dans ces paysages. Partagent-ils le même désir ? Être le dernier à déclipser les pédales, à poser les pieds à terre, à descendre de cette machine. Bruno, s’il te plait, encore une fois avec Abdou. C’est une prière pour un circuit praticable au pied du Toubkal, y tourner les pédales une dernière fois avant que l’âge nous rattrape. S’il te plait, Bruno !!!
 Un peu plus tard dans la soirée, alors que la nuit tombe, enfin une eau abondante et très chaude. Adieu le mal aux jambes et les courbatures, c’est le moment tant attendu du massage et le plaisir d’une relaxation au hammam.

Vendredi 6 octobre 2023: Déplacement habituel en bus entre Kasbah Abdou et le très spécial Hôtel de Foucauld à Marrakech en passant par le col de Tichka et la dernière photo du groupe. Promenade autour de la place Jemaa El-Fna et la dernière « cène », pour nous sept, dans une petite rue proche, avec au choix un tajine succulent ou plus classique, une escalope sur une belle salade. Il est à rappeler, toutefois, que plus tôt dans la journée, le Pacha allongé sur la banquette arrière écope d’une amende de trois cents Dirhams pour s’être dispensé de l’utilisation de la ceinture de sécurité.

Samedi 7 octobre 2023. « Y’a plus personne dans l’aéroport et pourquoi y court comme un dératé, y s’est perdu mais queski fait ». Lever à quatre heures pour nous et quatre heures trente pour Yves. Fermeture des portes d’embarquement à six heures quarante-cinq. « Embarquement porte 5B à destination de Tours, vol Ryanair, fermeture imminente. Le petit Yves est attendu de toute urgence par ses collègues pour un embarquement immédiat ». Yves… Hum… Voyons… Comment dire… Surprenant… Toujours un truc à faire au dernier moment, rien de plus.

Combien de fois nous sommes-nous allongés sur le sol ? Combien de fois avons-nous regardé le ciel ? Combien de fois avons-nous vu se lever la pleine lune ? Combien de fois avons-nous contemplé la voie lactée ? Combien de fois avons-nous observé les étoiles ? Combien de fois avons-nous admiré une filante ?

Une fois peut-être, cinq fois peut-être, peut-être jamais et pourtant …

… Ils jettent une myriade de mégots incandescents dégringolant en une trainée lumineuse vers la terre et quelqu’un en bas s’extasie sur une pluie de filantes.

Allongé sur l’herbe, dans le silence de la nuit, je me réveille, calme, apaisé, détendu et heureux. J’ai mon idée, je peux maintenant raconter ce voyage.

Données Garmin Connect :

Date

Départ

Arrivée

Distance

Tps en selle

Vitesse

D+

D-

Alt. Max

Alt. Mini

Temp

Moy.

01 Oct.

Tizi Aït Ridi (1465m)

Taghmout (1758m)

48.6 km

3 :37

13.4

830 m

531 m

1855 m

1320 m

36°C

02 Oct.

Taghmout

(1758 m)

Shroura - Ahl El Oust (1285 m)

73.7 km

4 :48

15.35

779 m

1224 m

1860 m

1202 m

38°C

03 Oct.

Ahl El Oust

(1285 m)

Ighl N’Oumgoun

(2075 m)

62.2 km

4 :53

12.74

886 m

213 m

2075 m

1285 m

32°C

4 Oct.

Ighl N’Oumgoun

(2075 m)

Aït Youl -Source Taghbalout (1639m)

49.2 km

3 :35

13.73

715 m

1107 m

2075 m

1620 m

35°C

5 Oct

Aït Youl -Source Taghbalout

(1639m)

Tizi Aït Ridi (1465m)

54.1 km

4 :08

13.09

932 m

663 m

1978 m

1464 m

34°C

Totaux

 

 

287.8 km

20h21

 

4142 m

3738 m

 

 

 

Je me suis fait un petit plaisir pour quatre contrepèteries dont une de Véronique. Pour vous aider et dans l’ordre : sportive, commerciale, associative et la dernière culinaire. Bonne chasse.


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